L’œuvre : les travaux pour le théâtre
Touchagues a beaucoup œuvré pour le théâtre. Quand, au printemps 1922, il rejoint les artistes lyonnais installés à Paris : Gabriel Chevallier, Marcel Achard, Gaston Baty, Pierre Scize, Henri Béraud … et commence à rencontrer les vedettes du théâtre parisien : Jouvet, Rudolf Valentino, Jacques Prévert, Jacques Hébertot … il n’a pas d’expérience théâtrale, ou si peu. Ses années lyonnaises avaient été surtout consacrées à la peinture et au dessin. Il n’avait monté que quelques spectacles de Guignol et de marionnettes. A Paris, son contrat avec le couturier Paul Poiret l’avait délivré des soucis financiers mais quand son ami Henri Béraud suggère alors à Charles Dullin, le directeur du théâtre de l’Atelier, de le faire travailler. Touchagues saisit sa chance et comme il l’écrit lui même :
Cette simple phrase de Béraud devait transformer mon existence : Dullin m’offrit d’être à la fois son régisseur général, son décorateur et son assistant. C’était trop tentant. J’abandonnai Van Gelder, ses dessins pour tissus… et l’aisance qu’ils me donnaient. Je quittai mon atelier de la rue Grange-Batelière et je pris le chemin de la place des Abbesses où je louai une chambre dans un hôtel pour être plus près du théâtre. Je venais de tourner une page.
Charles Dullin a donc fait travailler Touchagues comme régisseur, décorateur et costumier au théâtre de l’Atelier jusqu’en 1924. Cinq pièces ont été montées dans ce cadre : Monsieur de Pygmalion de Jacinto Gruau, Huon de Bordeaux d’Alexandre Arnoux, Celui qui vivait sa mort de Marcel Achard, La Promenade du prisonnier de J.H. Blanchon et Voulez-vous jouer avec môa ? de Marcel Achard. Il faut y ajouter les ballets La cathédrale engloutie et Arabesques sur des musiques de Debussy. Les conditions de travail étaient rudes et l’argent rare mais :
J’avais réalisé, pour cette pièce [Huon de Bordeaux], un autre décor représentant une forêt. Je n’avais rien pour l’édifier et je dus me faire donner, par un épicier de la rue d’Orsel, en face du théâtre, des caisses que j’assemblai pour construire mes arbres. Pour la plupart des décors que je fis chez Dullin je me trouvai en présence du même casse-tête : je n’avais jamais de matériaux et je devais tout faire de mes mains avec de vieux journaux trempés dans de la colle de pâte et montés sur des fils de fer ou des bouts de bois ramassés ici et là. C’était merveilleux de voir les choses prendre forme peu à peu et j’ai gardé la nostalgie de cette époque qui m’a permis de découvrir la vraie magie du théâtre
Cette expérience réussie de « théâtre pauvre » a lancé sa carrière. Les metteurs en scène reconnus sont venus ensuite le solliciter soit comme costumier soit comme décorateur des pièces qu’ils montaient dans les grands théâtres parisiens. Après la baisse de régime de la seconde guerre mondiale, il reprend ces activités à un rythme frénétique jusqu’au milieu des années 50. On peut donc diviser son œuvre théâtrale en 4 parties :
- Les débuts avec Charles Dullin
- Les années 30
- La guerre
- Libération et années 50
Il est quelquefois difficile de préciser où et quand les pièces pour lesquelles Touchagues est intervenu ont été jouées. Certains projets n’ont jamais été montés. Il y a eu des annulations et des reprises, quelquefois bien après le projet initial et bien loin de Paris. Les décors et costumes de théâtre étant par nature des œuvres éphémères, les seules traces qui en restent sont quelques dessins préparatoires de Touchagues ainsi que les articles et photos publiés dans la presse. Quelques rares décors et costumes ont néanmoins été sauvegardés et peuvent encore être admirés aujourd’hui.
En 2024, nous connaissons une quarantaine de pièces de théâtre et ballets pour lesquelles Touchagues est intervenu soit pour le décor, soit pour les costumes soit pour les deux. On peut télécharger un PDF de la liste, à jour de nos découvertes, ici : Ces listes sont forcément incomplètes. Vous connaissez peut-être d’autres interventions de Louis Touchagues dans le monde du théâtre. Faites nous en part en utilisant ce lien Contacts ou celui qui apparaît en bas de page. Merci d’avance pour votre contribution.
1- Les débuts avec Charles Dullin
Celui qui vivait sa mort (mai 1923)
Après avoir occupé divers emplois, Marcel Achard quitte son Rhône natal pour s’installer à Paris en 1917. Il y rencontre Marcel Pagnol, avec qui il entretiendra une longue amitié et commence une carrière de journaliste et critique. En 1923, il crée sa première pièce : La Messe est dite à la demande de Lugné-Poë, directeur du théâtre de l’Œuvre. La même année, Charles Dullin lui demande d’écrire deux pièces : Celui qui vivait sa mort, puis Voulez-vous jouer avec moâ ? qui aura un grand succès. C’est là que se fait la rencontre avec Touchagues. Celui qui vivait sa mort est une petite pièce en un acte, représentée pour la première fois, au Théâtre de l’Atelier, le 9 mai 1923. Elle mettait en scène 7 personnages historiques avec des dialogues légers comme celui où l’on voit Charles VI, le fol, penché sur son ami mourant Gringonneur et lui demandant : Alors, la mort, comment est-ce ? Un repos ? Une torture ? Parle ! Finalement, quelle est ton impression ? Et l’autre de répondre : Mauvaise , et il meurt … Cette pièce eut un aimable succès et la presse la reçut avec sympathie. Sur quoi, Dullin donna à Achard le titre de « Poète de la Troupe », et lui commanda une « vraie pièce » en trois actes : Voulez-vous jouer avec moâ ?, qui fut créée la même année. Il ne reste que peu de documents de la mise en scène de Celui qui vivait sa mort. Avec Dullin, Touchagues dessinait souvent à la gouache avec des à-plats de couleurs, technique rapide bien adaptée au rythme requis par le Maitre. Voici quelques dessins préparatoires de costume et de décor qui nous sont parvenus par la presse de l’époque. Les originaux sont consultables à la BnF.
Les autres pièces des années 20 avec Dullin
Avant de réaliser les décors et costumes de Celui qui vivait sa mort, Touchagues avait imaginés, avec Dullin, ceux de Monsieur de Pygmalion. Les protagonistes de cette pièce sont un homme de théâtre et de science portant le nom d’artiste Pygmalion, et ses dix-huit « marionnettes », interprétées par les comédiens de l’Atelier. Si le titre de la pièce annonce des marionnettes, la scène est investie par des robots anthropomorphes. On peut télécharger ici une analyse beaucoup plus profonde de la pièce parue sous le titre « Radium, acier et cœurs vivants. Les marionnettes-automates de Monsieur de Pygmalion mis en scène par Charles Dullin (1923)« . Nous ne disposons d’aucun dessin préparatoire, seulement une photo de la troupe dans le décor de Touchagues tirée du document cité plus haut.
Après Celui qui vivait sa mort le théâtre de l’Atelier entreprit de monter Huon de Bordeaux, longue chanson de geste médiévale en vers mettant en scène 25 acteurs dans un décor de Touchagues. Il s’agit là de la version d’Alexandre Arnoux avec des rebondissements multiples entre la cour de Charlemagne et celles des émirs de Babylone. Nous ne disposons que d’un projet de décor de forêt. Voir plus bas.
Toujours en 1923, Touchagues est chargé de réaliser les décors et les costumes d’une petite comédie en deux actes, La Balade du prisonnier, de J.H. Blanchon avec Dullin dans le rôle principal et 6 autres acteurs. Nous ne disposons d’aucun document pour cette pièce.
Viennent ensuite deux ballets de Maria Ricotti montés à l’Atelier en 1923 pour lesquels Touchagues a dessiné les costumes. Voici ce Touchagues en dit :
« Dans ce spectacle, Maria Ricotti devait danser et porter des costumes que je devais dessiner. L’un était facile, bien qu’encombrant, pour « La Cathédrale engloutie » de Debussy. Pour le second, c’était une autre affaire. La danse s’appelait « Arabesques » et Maria Ricotti ne devait porter, pour tout vêtement, qu’une arabesque qui partait du bout d’un sein pour finir en cache-sexe. Elle portait aussi, bien entendu, un filet transparent. Je dessinai d’abord l’arabesque sur du papier et je l’essayai sur le très beau corps de la danseuse. On fit ensuite une arabesque en velours noir. Dullin, qui avait l’œil à tout, et qui peut-être n’avait pas assez confiance en moi, tint à assister à l’essayage. »
Nous avons retrouvé 3 projets de costumes de La cathédrale engloutie, mais ni l’arabesque de Maria Ricotti ni les décors …
Enfin, le 18 décembre 1923 le théâtre de l’Atelier crée Voulez vous jouer avec moâ ?, pièce en 3 actes et 4 personnages de Marcel Achard mise en scène par Dullin. L’histoire est simple et a pour décor une piste de cirque. Trois clowns, Grockson, Rascasse et Auguste, héros gouailleurs, ingénus, falots et ridicules, courtisent la blonde Isabelle, la funambule qui ne cessera de marcher sur le fil fragile de la séduction au travers de trois actes rythmés par les baffes et les coups de pied au cul. Achard jouera le rôle de Grockson en alternance avec un autre acteur. Touchagues sera chargé des costumes et des décors. Beau succès et presse élogieuse : la pièce sera jouée plus de 200 fois.
2- Les années 30
Après la rude expérience du théâtre de l’Atelier qui l’avait lancé, Touchagues, qui se plaint de sa santé, reste une dizaine d’années à l’écart du théâtre. Il séjourne souvent sur la Côte d’Azur, et s’adonne au dessin et à la peinture. Quand Dullin reprend contact en 1935, il laisse percer quelques regrets mais accepte de replonger :
Et si ma santé ne m’avait obligé à partir me reposer dans le Midi, et à céder ma place à Michel Duran, [peut-être] aurais-je continué à travailler jusqu’au bout avec Dullin. Quoi qu’il en soit, lorsqu’il fit de nouveau appel à moi, bien des années plus tard, pour « Le faiseur », j’éprouvai une grande fierté : je ne l’avais pas déçu.
Commence alors une période faste pour Touchagues qui en 4 ans imaginera les décors et les costumes de 7 ou 8 pièces à succès.
Le Faiseur de Balzac (novembre 1935)
Le Faiseur est une pièce de théâtre d’Honoré de Balzac, créée sous le titre Mercadet en 1851, mais qui ne fut jamais jouée du vivant de l’auteur. La pièce tourne en dérision un capitalisme financier qui spécule en fonction de rumeurs, d’apparence d’opulence ou de délits d’initié. Les créanciers continuent d’avancer de l’argent à Mercadet sur la foi de ses promesses. Lui-même ment ou manipule l’information à son avantage. En novembre 1935, Dullin monte l’adaptation de Simone Jollivet au théâtre de l’Atelier sur une mise en scène d’André Barsacq. Il se réserve le rôle vedette de Mercadet. Touchagues est chargé de l’affiche, des costumes et des décors. Il paraît très fier de son œuvre dont les décors sont considérés, dans le Larousse du XXe siècle, « comme ayant déterminé dans ce genre un réveil caractérisé principalement par le lyrisme de la couleur« . Remarquez la devise au centre du lambrequin : « Crédit est mort ».
Le Camelot (octobre 1936)
Après avoir frayé avec les surréalistes et les dadaïstes, joué Alfred Jarry, et trouvé un emploi alimentaire de journaliste, Roger Vitrac renoue avec la création théâtrale. Il crée le personnage du Camelot, rôle-titre de sa nouvelle comédie en quatre actes qui est montée avec une quinzaine d’acteurs au Théâtre de l’Atelier en octobre 1936. L’affiche était alléchante : mise en scène de Charles Dullin, musique de Georges Auric, décors de Touchagues et costumes de Mme Schiaparelli. Le rôle principal était tenu avec beaucoup de verve par le célèbre chanteur populaire Georgius qui obtint un énorme succès personnel.
Le texte d’accroche de la pièce introduit le décor : « Un petit bistrot à Montmartre le 24 décembre 1919 à 6 h. 1/2 du soir « Chez Tatave ». Comptoir en zinc disposé à droite de la scène, en diagonale. Au fond peintures représentant un coin de la Côte d’Azur. Adossée au mur, une banquette de moleskine. Tables, chaises. À gauche, la devanture vitrée donnant sur le boulevard où la fête bat son plein. On distingue au travers des vitres un panneau où sont inscrites les spécialités de Tatave : Vins de Cassis et de Cavalaire, Côtes du Rhône, huîtres, oursins, violets, moules, clovisses, etc. Au premier plan à gauche et à droite de la scène, tables et chaises. De même à gauche et à droite de la devanture. Téléphone au comptoir, phono à pavillon. Au lever du rideau, Tatave est derrière son comptoir. Au zinc, un homme d’une quarantaine d’années aux vêtements fatigués et légèrement éméché. Au guéridon du fond, contre la devanture, Léa devant un café-crème, regarde au dehors, les yeux vagues. » Touchagues imagine pour cette pièce des décors et des costumes sobres. Nous n’en connaissons hélas que quelques images rapportées dans la presse de l’époque.
Boubouroche (mai 1937)
Boubouroche est une pièce en deux actes, tirée d’une nouvelle de Courteline. Elle a été représentée pour la première fois à Paris en 1893. La Comédie Française la reprend en mai 1937 avec une mise en scène de Fernand Ledoux et des décors et costumes de Touchagues. La pièce a été reprise avec une distribution légèrement différente, mais la même mise en scène et les mêmes costumes et décors, en 1948 au théâtre municipal de Sao Paulo au Brésil.
Le fil de l’histoire est simple : Boubouroche est un brave homme, un peu naïf, cocufié par sa maitresse, Adèle et exploité par des camarades de café à qui il paye des coups à boire. L’acte I se passe dans un petit café d’habitués, l’acte II dans le modeste salon d’Adèle où trône l’armoire où elle cache son amant. C’est la première intervention de Touchagues sans Dullin et cela se passe dans le cadre prestigieux de la Comédie Française. Il ne nous reste malheureusement très peu de documents de Touchagues pour ce spectacle. Les archives de la Comédie Française ne sont d’ailleurs pas très nettes sur la distribution de la première en 1937 : la scénographie y est attribuée à Chas-Laborde.
La complainte de Pranzini (février 1938)
La Complainte de Pranzini et de Thérèse de Lisieux est une pièce en 4 actes de Henri Ghéon. Henri Ghéon, fervent catholique, transforme un fait divers (une affaire de meurtre de cocottes en 1887) en une sorte d’opéra de quat’sous édifiant, mettant en scène le combat de Dieu et du Diable. Le Diable est finalement vaincu par la prière de Thérèse quand Pranzini tombe à genoux devant le crucifix, juste avant son exécution.
La pièce fut d’abord montée par Georges Pitoëff en juin 1935 au théâtre des Mathurins avec une vingtaine d’acteurs. En février 1938, une nouvelle version est montée au Stadsschouwburg d’Amsterdam sous le titre « Het lied van het meisje en de moordenaar » ce que l’on peut traduire par « La chanson de la jeune fille et du meurtrier ». Touchagues se trouve embarqué dans cette production néerlandaise grâce à son ami Paul Storm. Voici ce qu’il en dit dans son livre « En dessinant l’époque » :
« Dans le Midi, encore, j’ai rencontré un homme qui allait devenir un véritable ami : Paul Storm, un élève de Jacques Copeau. Ce metteur en scène, qui savait combien m’intéressait le théâtre, m’offrit de réaliser à Amsterdam, les décors et les costumes de La Complainte de Pranzini, de Saint-Georges de Bouhélier.
Sans hésiter, je le suivis en Hollande. Les ateliers du théâtre étaient merveilleusement installés. Ah! ils ne ressemblaient pas à ceux de l’Atelier ou rien n’était mis à ma disposition. Heureusement, d’ailleurs, car mes décors posaient des problèmes techniques. Je devais, en particulier, construire des arbres qui changeaient de saison « a vue », c’est-à-dire qui devaient abandonner en un clin d’oeil leur apparence hivernale pour se couvrir de feuilles vertes. Il me fallait installer derrière chaque branche des fils de rappel où étaient fixées les feuilles : on tirait sur ces fils et les feuilles, cachées, apparaissaient. C’était assez difficile à monter et les ouvriers de l’atelier de décoration se faisaient un peu lents. Je commençais déjà à craindre qu’ils ne fussent incapables de construire mon décor quand Storm m’appela : Il faut commander, me dit-il. A Paris vous obtenez tout en vous tapant sur le ventre… Ici, ce n’est pas la bonne méthode… Il avait raison, car en précisant mes ordres, le décor, en dépit des difficultés, fut parfaitement au point le soir de la générale ».
Ci après quelques images de documents de Touchagues provenant des archives de l’association et 3 photos de scène provenant du site theaterencyclopedie.nl. Les projets de costumes sont peints avec soin à la gouache sur papier écru.
Les 37 sous de monsieur Montaudoin (avril 1937)
Les 37 Sous de M. Montaudoin est un vaudeville en un acte d’Eugène Labiche, représentée pour la première fois à Paris le 30 décembre 1862. C’est une petite histoire d’argent. Monsieur Montaudoin marie sa fille ; méfiant, il dévoile a son ami, Penuri, que depuis la naissance de sa fille, il y a juste vingt ans, tous les jours quelqu’un lui dérobe la somme insignifiante de 37 sous, jamais plus jamais moins. Il veut résoudre cette énigme avec l’aide de Penuri qu’il soupçonne bientôt d’être le père de sa fille. Suit une série de quiproquos.
La pièce, mise en scène par André Barsacq, a été montée au théâtre des Mathurins, le 5 avril 1937, Touchagues étant chargé des décors et des costumes.
Bizarrement nous ne disposons d’aucun dessin de Touchagues.
Un chapeau de paille d’Italie (mars 1938)
Retour à la Comédie Française avec un nouveau metteur en scène, Gaston Baty. Touchagues écrit :
« C’est par Dullin que j’ai connu Baty, avec qui j’ai travaillé aux décors et aux costumes du Chapeau de Paille d’Italie de Labiche pour la Comédie-Française. Il était parfait dans son comportement avec ses collaborateurs. D’une politesse extrême, il n’élevait jamais la voix, n’utilisait aucun mot vulgaire. »
Cette comédie burlesque en 5 actes a été créée en 1851 par Labiche, puis reprise en 1896. La Comédie Française la monte le 16 mars 1938 avec une quinzaine de comédiens, dans une mise en scène de Gaston Baty et des décors et costumes de Touchagues. Elle est depuis lors à son répertoire et a été reprise en décembre 1948 avec une distribution différente.
L’argument est simple. Le jour de ses noces, le jeune Fadinard voit le cheval de sa voiture manger le chapeau de paille d’Anaïs, une femme mariée alors en pleins ébats avec son amant. Fadinard doit trouver un chapeau identique pour sauver la dame de son mari jaloux. S’ensuit une série de quiproquos autour d’une noce entraînée selon un rythme d’enfer à la recherche du chapeau perdu … Du grand Labiche.
Touchagues imagine des décors assez complexes dans lesquels évoluent des personnages habillés à la mode du XIXe siècle. Voici quelques images tirées des magazines d’actualité artistiques.
… et quelques documents de Touchagues provenant du fonds documentaire de l’association.
Le voyage de monsieur Perrichon (avril 1938)
Le Voyage de Monsieur Perrichon d’Eugène Labiche est une comédie en quatre actes, représentée pour la première fois, à Paris en 1860. Monsieur Perrichon, sa femme et sa fille Henriette, prennent pour la première fois le train, pour aller en vacances en Suisse. Ils sont abordés par deux jeunes hommes, amoureux de la fille de M. Perrichon, qu’ils ont rencontrée au bal. Une compétition commence entre les deux hommes, chacun voulant faire route avec la famille Perrichon pour gagner sa confiance et son affection, et ainsi la main d’Henriette. On est dans le vaudeville : la conclusion n’apparaît qu’à la fin du 4ème acte après de nombreux rebondissements.
La pièce, mise en scène par André Barsacq, devait être montée au théâtre des Mathurins, Touchagues étant chargé des décors et des costumes. Il est probable que cette pièce n’a pas été jouée en 1938. Le programme du théâtre des Mathurins présente à la même date Les 37 sous de Monsieur Montaudoin, autre vaudeville de Labiche dont les décors sont aussi de Touchagues. Jusqu’à fin 1940, la Comédie Française continuera de jouer la version de son répertoire sous la direction de Jacques Copeau. A la Libération, la pièce sera enfin montée avec les costumes et décors de Touchagues légèrement retouchés et une mise en scène de J. Dasté en 1945 au French Theater de New York. Une autre version sera montée en 1946 à la Comédie Française avec une mise en scène de Jean Meyer et des décors et costumes de Dignimont. Les dessins de costumes de Touchagues sont peints à la gouache sur papier mince. Le trait est souple, les couleurs vives et précises, les détails et les indications manuscrites nombreux. En voici quelques exemples ci dessous. Le dessin du décor de scène ne semble pas très achevé. Il en existe plusieurs versions. Difficile de dire lequel a été monté, faute de photos de scène.
La Folle Journée ou le Mariage de Figaro (février 1939)
Cette comédie en 5 actes de Beaumarchais a été représentée pour la première fois en 1784. Elle est depuis au répertoire de la Comédie Française.
La pièce se déroule dans le château du comte Almaviva, où Figaro, le valet, prépare son mariage avec Suzanne, la femme de chambre de la comtesse. Le comte, qui a des vues sur Suzanne, tente d’entraver leur union. Les personnages se lancent dans une série de manigances, de déguisements et de tromperies pour déjouer les plans du comte.
Touchagues retrouve là Dullin à la mise en scène, avec une quinzaine d’acteurs vedettes de la Comédie Française. Il est chargé des costumes et des décors. Étonnamment les dessins dont nous disposons sont bien moins soignés que ceux qu’il réalise à la même époque pour d’autres pièces. En voici quelques uns :
3- La guerre
En 1939, la déclaration de guerre arrête les projets théâtraux de Touchagues qui se retrouve affecté à la défense civile. Certains projets bien avancés ne seront jamais montés, d’autres seront gelés jusqu’à la Libération. 80 ans plus tard, cela apparaît comme une chance pour le biographe. Les dessins des projets arrêtés ont été mieux conservés que ceux que ceux des pièces qui ont été jouées. En voici trois : Tricoche et Cacolet, Fragonard et le ballet Thaïs.
Les pièces arrêtées par la guerre
Tricoche et Cacolet (1940)
Tricoche et Cacolet est un vaudeville en 5 actes écrit par Meilhac et Halevy. Première le 6 décembre 1871 : Tricoche et Cacolet, détectives associés mais concurrents, enquêtent pour le banquier Van Der Pouf et sa jolie femme Bernardine, que courtise le riche et stupide duc Émile. Un pacha turc se mêle de la partie, amoureux à la fois de Bernardine et de Fanny, la maîtresse du banquier…
Interrogé par un journaliste en mai 1940, Gaston Baty prévoit de mettre en scène cette pièce en 1941 au théâtre Montparnasse. Il demande donc à Touchagues d’en dessiner les costumes. La pièce ne sera finalement jamais montée et les costumes de Touchagues resteront dans les cartons. Il nous reste aujourd’hui une quinzaine de dessins de costume des principaux rôles. Ce sont des dessins délicats et précis à l’encre et à la gouache sur papier de soie. En voici 5 :
Fragonard (1939)
Fragonard est une comédie musicale en 3 actes et 4 tableaux avec des ballets, créée par Gabriel Pierné le 20 octobre 1934 au théâtre de la Porte-Saint-Martin. Pour cette première, la mise en scène était de Maurice Lehmann.
Le livret de Rivoire et Coolus met en scène Fragonard, qui vit à Rome avec son ami Hubert et l’abbé de Saint-Non. Fragonard est demeuré aussi friand de jolies filles qu’à l’âge heureux où il était encore étudiant. Avec le maréchal de Soubise, le musicien La Borde et le danseur Dauberval, ils forment un joyeux et inséparable quatuor, uni par des liens fort intimes à la Guimard, célèbre danseuse. Marie-Anne, la femme de Fragonard, s’en émeut et imagine de faire venir de Grasse sa sœur cadette, Marguerite, qui vient d’avoir dix-huit ans… début d’une histoire à rebondissements.
Après la mort de Pierné en 1937, considérant le succès de la première version de la comédie, on (qui ?) demande à Touchagues de dessiner les costumes pour une nouvelle version de Fragonard. Touchagues produira en 1939 une trentaine de dessins d’assez grand format peints à la gouache, la plupart sur un inhabituel fond noir. Ces dessins sont colorés et vivants, bien dans l’esprit de cette comédie joyeuse. Il ne semble pas que ce projet ait été concrétisé. On ne trouve aucune trace de représentation du Fragonard avec les costumes dessinés par Touchagues pendant les années de guerre. Il faudra attendre 1946 pour assister à une reprise de la pièce à l’Opéra Comique … mais avec la mise en scène de Lehmann et des décors de Douking. Fin de l’histoire. Les dessins de Fragonard sont restés dans les cartons de Touchagues et n’ont été retrouvés qu’après son décès.
Vous trouverez ci dessous une petite galerie de ces projets de costumes. Les images proviennent du fonds documentaire de l’association.
Le ballet Thaïs (1939)
Thaïs est un opéra en trois actes de Jules Massenet, livret de Louis Gallet, d’après le roman d’Anatole France. Il a été créé à l’Opéra de Paris le 16 mars 1894. Il met en scène 8 chanteurs et dure près de 3 heures. L’argument est simple. Le moine cénobite Athanaël décide de rejoindre Alexandrie afin d’y convertir Thaïs, prêtresse de Vénus dont les charmes condamnent la ville entière au péché.
On a tiré différentes œuvres de cet opéra : une version purement orchestrale, un morceau classique du répertoire de violon, la Méditation de Thaïs et ce divertissement dansé, le ballet Thaïs, dont la première fut donnée à l’Opéra le 1er juillet 1910.
A la fin des années 30, Serge Lifar, maitre de ballet à l’Opéra depuis une dizaine d’années, projette une reprise du ballet Thaïs à l’Opéra. Il demande à Touchagues d’en dessiner les costumes. Touchagues produira un ensemble d’environ 80 dessins à l’encre aquarellés pour ce projet. Pour des raisons mal élucidées, le ballet ne sera jamais monté et la plupart des dessins de Touchagues resteront dans les archives de Serge Lifar jusqu’a sa mort. Quelques uns sont réapparus sur le marché de l’art récemment. En voici quelques images.
Un garçon de chez Véry (1940)
Un garçon de chez Véry est une comédie en un acte mêlée de couplets d’Eugène Labiche, représentée pour la première fois à Paris au Théâtre du Palais-Royal le 10 mai 1850. La scène figure un appartement bourgeois et l’argument est simple : Monsieur et Madame Galimard sont à la recherche d’un nouveau domestique. Antony, jeune homme tête en l’air, se présente. Ce dernier n’est autre que l’ancien domestique de chez Véry où se sont passés des événements que le couple Galimard voudrait parvenir à camoufler à tout prix… Gaston Baty montera cette comédie au théâtre Montparnasse en 1940 à une date qui n’a pas été retrouvée dans les archives du théâtre. Nous disposons de 2 documents préparés par Touchagues pour cette pièce, mais il semble bien que la scénographie ait été finalement confiée à Emile Bertin. Quelle a été la contribution de Touchagues ? Voici des images de ces documents dessinés par Touchagues.
Les pièces jouées pendant la guerre
La déclaration de guerre de septembre 1939 avait perturbé l’activité des théâtres parisiens : mobilisation des intervenants, émigration de certains acteurs … Après l’armistice de juin 1940, le monde du théâtre reste en attente. Beaucoup de projets sont abandonnés ou reportés sine die. A partir de 1941 certains producteurs essayent de se relancer mais l’argent est rare et beaucoup d’artistes préfèrent ne pas se mettre en avant. La plupart des spectacles montés le sont donc avec de petits budgets et peu d’acteurs. Difficulté supplémentaire pour le biographe, la documentation disponible pour cette période est très lacunaire. Pendant ces années difficiles, Touchagues fait profil bas mais ne reste pas complètement inactif ; nous connaissons quelques spectacles pour lesquels il est intervenu, notamment les ballets Daumier, Cartes Postales et Sauguet, ainsi que deux pièces de théâtre : Les deux Bavards, et Comédie en 3 actes.
Les deux bavards (1940)
Les deux bavards (titre original : Los habladores) est une pièce courte en un acte et 6 scènes de Miguel de Cervantès publiée en 1617. Elle a été conçue comme un intermède et ne met en scène que 6 personnages. Offenbach en a tiré en 1863 un opéra-bouffe en deux actes sous le titre Les bavards. L’argument est assez simple : Roland, un jeune poète sans le sou, mais bavard, tente d’échapper à ses créanciers et, réussissant à se cacher d’eux, il se trouve devant la maison de Sarmiento. Là il tombe amoureux d’Inès, la nièce de Sarmiento, un homme riche toujours occupé à compter son argent et dont la femme Béatrice est également particulièrement bavarde. S’ensuit une course-poursuite avec les créanciers … En 1940, Alfred Pasquali projette de mettre en scène la pièce de Cervantès au théâtre de Marigny et demande à Touchagues d’en dessiner les costumes. Il n’est pas certain que la pièce ait été effectivement jouée. Elle n’apparaît ni dans la liste des œuvres jouées au théâtre Marigny pendant l’Occupation ni dans la liste des pièces mises en scène par Pasquali. Nous disposons seulement de quelques mauvaises images des projets de costumes, de style bien espagnol du XVIIe siècle pour les messieurs :
Comédie en trois actes (1942)
Comédie en trois actesest une des rares pièces de théâtre de Henri-Georges Clouzot qui a fait l’essentiel de sa carrière dans le cinéma. La première est jouée au Théâtre de l’Athénée en mars 1942. (Programmée initialement au théâtre de la Michodière en 1941 ?)
L’argument est simple : follement éprise de son mari, une jeune femme, découvre qu’il eut une brève aventure mal dissimulée et se sépare de lui. Elle en souffre et, au bout d’un an, sera heureuse de revenir au seul homme de sa vie. Se croyant abusée à nouveau, elle s’empoisonne. Lui en fera alors autant et ils mourront ensemble. Bien entendu, le poison n’en était pas un …
La pièce a été mise en scène par Pierre Fresnay avec un plateau de comédiens de grande qualité : Pierre Fresnay, Yvonne Printemps, Marguerite Deval, Louis Salou et les jeunes Jacques François et Janine Villars. Les 3 actes se passent dans un unique décor de Touchagues, diversement apprécié par certains critiques : « … [décor] conçu dans un style rococo moderne, évocation involontaire mais fâcheuse, dans sa lourdeur sans grâce d’un salon provincial de maison close. » Cela ne nuira pas au succès de cette pièce qui sera jouée 127 fois.
Nous n’avons pas identifié le décor de Touchagues parmi les documents dont nous disposons. Par contre nous avons retrouvé le programme avec ses portraits d’acteurs par Touchagues. Vous en trouverez quelques extraits ci après.
Les autres pièces où Touchagues est intervenu pendant la guerre
Outre les ballets Daumier, Cartes Postales et Sauguet, Touchagues a travaillé sur un projet Commedia dell’arte dont nous avons quelques images mais ne connaissons pas la destination : théâtre ou dessin animé ?
4- Libération et années 50
Malgré un vent de changement après la Libération, Touchagues reste très sollicité pour reprendre son activité de décorateur et de costumier pour les grands théâtres parisiens. Il ne renouvèlera pas tellement son style mais signera les décors et costumes d’une douzaine de pièces et ballets entre 1944 et 1954 dans de petites salles comme dans des institutions prestigieuses : Comédie Française, Opéra de Paris, etc. La documentation est hélas peu disponible, à l’exception de quelques jeux de dessins qui nous sont parvenus après la mort de l’artiste. Nous avons choisi de ne présenter que 3 pièces assez représentatives de la production de Touchagues pendant cette décennie. Cela n’implique pas de jugement sur la qualité de celles qui n’ont pas été retenues. Simplement, nous ne sommes pas parvenus à rassembler suffisamment d’information et de documentation sur ces spectacles. On peut trouver une liste à peu près complète de ces œuvres ici.
Frère soleil (1944)
Frère Soleil fait référence à Saint François d’Assise. Jacques Copeau, fraichement converti au catholicisme, semble avoir préparé cette pièce pour le théâtre du Vieux Colombier vers 1944. Nous n’en connaissons pas le script ni les personnages. Comme la pièce n’apparaît pas sur les programmes du Vieux Colombier de cette époque, on peut supposer qu’elle n’a pas été montée. Touchagues avait préparé un beau projet de décor italianisant dont on trouvera une image en couleur ainsi qu’une photo de presse N&B un peu plus complète ci dessous.
Le malade imaginaire (1944)
Le 28 octobre 1944, Touchagues crée pour la Comédie Française les décors et costumes d’une nouvelle version de cette œuvre de Molière mise en scène par Jean Meyer. Tout le monde en France connaît le script et l’histoire de cette comédie-ballet de Molière. Jean Meyer avait réuni là un plateau d’acteurs exceptionnel : Raimu, Robert Manuel, Jean-Louis Barrault, etc. qui garantirent le succès de l’opération. Cette mise en scène est restée l’une des mises en scène de référence jouées jusqu’à aujourd’hui à la Comédie Française.
Notre documentation est maigre. Nous ne disposons que de quelques images de cette mise en scène : ci dessous 2 images de costume par Touchagues provenant du fonds documentaire de l’association et deux photos de scène tirées de la revue Femmes Françaises du 9 novembre 1944 (site Gallica/BnF).
Le ballet Cinéma (1953)
Il s’agit d’un ballet en 3 parties écrit et mis en scène par Serge Lifar, redevenu maître de ballet de l’Opéra après sa mise à l’écart pendant l’épuration. La musique était de Louis Aubert ; les décors et costumes de Touchagues. La première eut lieu le 5 mars 1953 à l’Opéra de Paris. Serge Lifar décrit son projet comme suit dans son ouvrage, Le livre de la danse paru en 1954 :
« Le sujet de Cinéma est simple : une jeune fille, séduite par les attraits de Hollywood, renonce à la danse, puis revient à son art pour triompher dans le ballet de l’Opéra. Devaient d’abord figurer des personnages connus, concrets : Charlot, Greta Garbo, Marlène Dietrich, etc. N’était-ce point, d’une manière ou d’une autre, tomber dans le pastiche, alors que la parodie n’a jamais été un moyen d’art ? C’est pourquoi, dépouillant les personnages de tous leurs traits particulièrement humains, j’ai préféré ne conserver d’eux que le généralement, l’universellement humain, tout ce qui les entoure d’une auréole de légende et les fait pénétrer dans une mythologie nouvelle, conforme à notre sensibilité, soumise à l’épreuve du temps et de la stylisation. Il n’y a plus de Charlot, de Garbo, ni de Dietrich, mais un Vagabond, une Divine et une Vamp, personnages universels, détachés et susceptibles de trouver dans la danse une désincarnation définitive. »
C’est l’un des derniers ballets ou Serge Lifar a tenu un rôle sur la scène de l’Opéra.
La communication entre Touchagues et Lifar fonctionnait bien à cette époque. Nous n’avons pas les détails de la gestation des costumes et décors, mais les quelques photos de presse disponibles montrent Touchagues dessinant au milieu de piles de papier. Il lui a fallu suivre l’évolution de la pensée du Maître et probablement y revenir plusieurs fois avant d’arriver à un accord. A la mort de Touchagues en 1974, son atelier contenait encore de nombreux dessins préparés pour le ballet Cinéma. Une partie est arrivée à l’Association. Rien ne dit que ces dessins, assez conceptuels, ont été utilisés pour monter les costumes du ballet monté en 1953.
Pour ces dessins Touchagues a utilisé une technique particulière que l’on retrouve dans certaines illustrations de livres qu’il a livrées à la même époque : traits fins à l’encre accentués de traits au crayon de couleur. Ainsi Touchagues campe une personnalité en quelques traits. Une technique rapide bien adaptée à son talent de portraitiste express et à des reprises multiples. Voici d’abord 3 galeries de personnages préparées pour monter des scènes autour de la sortie des usines Lumière à Lyon.
Puis quelques schémas de costumes des personnages types. Le dessin est plus élaboré que celui des galeries ci dessus, mais on est encore loin du patron de réalisation.
Enfin quelques images du travail de Touchagues sur le rideau de scène. Touchagues a quitté l’encre et le crayon de couleur pour l’aquarelle.