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Redonner à l'oeuvre du peintre Louis Touchagues sa place méritée dans le patrimoine artistique...

Réalisation des fresques en 1952

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État des lieux

Depuis 1913, l’Ermitage est sans ermite. Le mont Cindre demeure une destination touristique et la chapelle accueille toujours des visiteurs et des pèlerins qui affluent lors des grands pèlerinages annuels.

Une grille basse en fer forgé et un muret orné de deux potiches en fonte limitent l’accès des personnes mais laissent entrer le vent d’ouest dans le porche. Les murs du porche sont recouverts d’un badigeon foncé assez décati jusqu’à la hauteur des chapiteaux du portail de la chapelle. La vierge est bien là dans son médaillon au dessus de l’inscription “A Notre-Dame de Tout Pouvoir” qui orne l’arc du portail.

La petite abside du chœur au dessus de l’autel accueille la statue en bois doré de la Vierge encadrée par deux anges en bois massif. Elle est éclairée par une guirlande électrique.

Thèmes et techniques

Le porche

Touchagues choisit d’y mettre en scène ses amis lyonnais et les villageois dans leur activité quotidienne. Sous la voûte bleue du porche, il orchestre une symphonie des saisons et des travaux des champs. Artifice de créateur : Il referme le décor sur le spectateur, l’enfermant ainsi avec les personnages qui regardent tous la Vierge en médaillon au dessus du portail pour l’hommage à Notre-Dame de Tout-Pouvoir. Sur les cotés du porche, cette fresque, mi- sociale, mi- religieuse, montre 12 villageois alignés dans un décor végétal naïf cher au peintre. Sur les panneaux du fond, la famille et les amis posent plus simplement devant le village de Saint Cyr

Les portraits peints à la fresque mêlent pigments et mortier granuleux dans une palette naturelle. Le mortier accroche la lumière entrant par le porche, mais “Il faut subir le grain du mur, la complaisance fugitive du mortier dans laquelle la couleur est fixée” confie l’artiste. Dans un style dépouillé inspiré de l’Art Déco, avec quelques réminiscences d’Art Nouveau, il manie les contrastes et les reliefs et laisse son pinceau traduire l’expression de ses émotions. Un pointillisme fondu décliné en teintes plus sourdes donne au fond une douceur chaleureuse. Peintre de l’instant présent, l’artiste affirme forces de vies, danse des couleurs et des formes, désirs et bonheurs qu’il capture intuitivement. On retrouve la griffe du « peintre de la joie de vivre » dans les arabesques dorées et la décoration florissante de certains panneaux, contrastant avec les attitudes plus raides des personnages.

L’abside

Touchagues choisit d’y représenter le couronnement de la Vierge. Cette scène ne figure pas dans les textes canoniques de l’Église, mais on la voit apparaître au Moyen Age en Europe. Par cet acte, Marie, est placée par Dieu au-dessus de toutes ses créatures, anges, démons et hommes. On trouve de nombreuses représentations médiévales où Marie, sans enfant, est couronnée par Dieu-le-Père ou Jésus. Plus tard, à partir du XVIIe siècle, la Vierge porte son enfant et la couronne est portée par des anges. Touchagues a repris une version hybride pour l’abside de la chapelle de l’Ermitage : la Vierge aux mains jointes, est posée sur un coussin végétal flottant au dessus du village de Saint-Cyr et est couronnée par deux anges blonds.

Ces anges flottent dans l’espace, à la manière des apsaras des grottes bouddhiques de Dunhuang, révélées au monde occidental dans les années 1920. La représentation du village de Saint-Cyr reprend celle des panneaux de fond du porche, mais le village est entouré d’eau comme dans le dessin de Touchagues du Rire de 1926 figurant le Paradis Terrestre.

La technique employée, fresque sur mortier de ciment, est la même que pour les fresques du porche, mais il n’y a pas là d’éclairage naturel rasant venant accrocher le grain du mortier.

Une préparation méticuleuse

Les personnages

Cette fresque était une œuvre qui comptait pour Touchagues. Il a soigné le travail préparatoire en sélectionnant ses personnages et en en dessinant des esquisses de qualité. Deux groupes : les habitants du village d’une part, ses parents et amis d’autre part. Pour les villageois, il a retenu les figures les plus pittoresques ou les plus élégantes. Pour les amis et les parents, il s’est attaché à transcrire dans le dessin le caractère de personnes qu’il connaissait bien. Touchagues a exprimé dans les deux cas son talent de portraitiste.

Les esquisses sont dessinées au crayon sur papier blanc ou bistre. Pas de couleur mais des indications en marge, comme sur ses projets de costumes de théâtre, indiquant ici la couleur des yeux, là la couleur des cheveux. Une trentaine d’esquisses ont été identifiées. Il en existe d’autres qui sont encore dispersées. Certaines n’ont pas été transcrites sur la fresque. On ignore pourquoi, Touchagues n’ayant pas laissé d’indications dans son livre de souvenirs, pourtant paru peu après.

On trouvera un méli-mélo d’extraits de quelques esquisses ci dessous. On remarquera que toutes les dames regardent à gauche (elles allaient figurer sur le coté droit du porche) et les hommes à droite. Ainsi, tous allaient ainsi pouvoir regarder le médaillon de la vierge au fond du porche. Les esquisses originales sont conservées à la mairie de Saint-Cyr-au-Mont-d’or. Il est possible d’en télécharger un cahier de reproductions ici :

Mise en scène à l’atelier

Une fois les principaux personnages choisis, Touchagues est passé à la mise en scène, activité qui lui était familière au théâtre. Elle s’est déroulée à son atelier de la rue de la Saïda à Paris.

Il a commencé par organiser les panneaux du fond du porche sur un croquis coté, sans définir précisément qui serait représenté. Ensuite, il a placé ses personnages sur des maquettes grandeur nature de l’ensemble des fresques du porche. Tous les personnages, peints en à-plats et contours sur papier, sont en place, mais il ne semble pas que les décors et les détails aient été définis à ce stade.

Une photo de son ami René Basset prise début 1952, montre le désordre créatif de Touchagues peignant les maquettes dans son atelier. Cette photo montre aussi que le maquettage du Couronnement de la Vierge dans l’abside de la chapelle était prêt avant que Touchagues ne commence à peindre le porche en mai 1952. L’œuvre doit donc être considérée comme un ensemble cohérent, bien que l’abside ait été peinte près de 6 mois après le porche.

Les maquettes sur papier n’ont malheureusement pas été conservées. On en aperçoit quelques parties sur les photos de René Basset.

Une réalisation rapide

Touchagues est arrivé à Saint-Cyr avec ses maquettes sur papier terminées fin avril 1952. Il avait divisé son œuvre en panneaux (environ 80 cm de large pour le porche) qui demandaient chacun environ une journée de travail. Sauf pour le médaillon de la Vierge et l’abside, Touchagues a travaillé à hauteur d’homme, sans échafaudage. Pour chaque panneau, le maçon du village préparait le matin un enduit de mortier sur lequel Touchagues reportait le dessin de sa maquette a fresco. Les pigments s’intégraient donc à ce mortier frais granuleux, assez inhabituel pour une fresque. Les détails et ornements de la fresque ne semblent pas avoir été dessinés sur les maquettes. On suppose que Touchagues les a improvisé sur place, panneau par panneau, ce qui expliquerait l’hétérogénéité des décors. Touchagues est revenu plus tard, à sec, sur son dessin initial pour quelques détails et repentirs. Comme il avait beaucoup travaillé à l’atelier et bien fixé ses idées, il semble qu’il n’ait pas eu besoin d’y revenir beaucoup, une fois le panneau terminé, sauf peut être sur le panneau droit du fond du porche, où les photos montrent des évolutions notables. On peut dire qu’il a travaillé en véritable fresquiste, même si le mortier utilisé n’a pas permis d’assurer la pérennité qu’il visait probablement pour cette œuvre.

Touchagues avait demandé que l’on ferme le porche par une bâche pour ne pas être dérangé pendant qu’il peignait. Comme il logeait à l’Hôtel de l’Hermitage juste en face de la chapelle, il a pu consacrer tout son temps et son énergie à cette œuvre. Les fresques du porche ont donc été exécutées d’une traite, du 28 avril au 30 mai 1952. Il n’accepta de les dévoiler au public, qu’une fois terminées.

Nous disposons de quelques photos des travaux par Paris Match, la presse locale et son ami René Basset, reprises ci dessous. On y voit en particulier deux panneaux du porche en cours de réalisation avec leur fresque pratiquement dans leur état final.

A l’automne de la même année, il est revenu peindre la fresque de l’abside suivant la même technique. Les journalistes étaient aux aguets, le photographe René Basset aussi.

Les fresques

Le porche

Touchagues peint les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, le regard tourné vers Notre-Dame de Tout Pouvoir qui trône dans un médaillon au dessus du portail. Sur le panneau de gauche au fond, Touchagues se représente en architecte, un plan de la chapelle à la main, devant le village de Saint Cyr, entouré de ses amis et de sa famille. Considérant les dates qui figurent sur ce plan, il pose son œuvre au niveau des événements qui ont marqué l’histoire de l’Ermitage.

Son amie Marie-Louise Lacroix est le personnage principal du panneau de droite, en symétrie exacte du personnage de Touchagues sur le panneau de gauche. Elle est représentée en jeune mère paysanne, la main de la mère du peintre, représentée en vieille paysanne au visage déformé et parcheminé, posée sur son épaule. Elle prête aussi son visage à la Vierge du médaillon. L’inspiration Art Déco, encore bien vivante dans les années 50, est bien là.

Les murs latéraux sont dédiés aux saisons et aux travaux d’un village encore rural. Les 12 personnages du calendrier sortent d’un décor de lanières dorées très graphiques, où l’on découvre une flore des Monts d’Or stylisée. Coté esplanade, la fresque se termine par deux demi bâtiments couleur ocre d’où semblent sortir les 12 personnages. Les collines forment une ligne d’horizon ornée de la chapelle de l’Ermitage à gauche, de la basilique de Fourvière à droite. Mise en abyme par un maître de l’illusion …

Œuvre naïve et touchante, « album de famille du village » diront les critiques. Effectivement, on retrouve là son père, avec sa gaule de pêcheur et son chapeau blanc de peintre-plâtrier, Monsieur Colliot le moissonneur aux belles moustaches, Bachelard le maçon, le maire Pierre Dumont, Melle Barnique la jolie laitière, l’incontournable Rosette de Mont-Thou qui descendait à pied au village vendre lait et fromages, la jeune secrétaire de mairie Jeanne Augoyat, Rose Locca la fille du restaurateur, Marc Foret l’étudiant, et bien d’autres, tous tournés vers la Vierge pour un “Hommage des saisons à Notre-Dame de Tout-Pouvoir”.

Style « naïf » peut être, mais aussi composition très stricte avec les personnages des murs latéraux qui grandissent à mesure que l’on s’approche du fond du porche où trône la Vierge. Ils se raccordent ainsi aux personnages du premier rang des panneaux du fond. Ceux ci ne laissent que peu d’espace aux personnages de deuxième rang, souvent réduits à une tête. La symétrie se poursuit pour la représentation de la famille proche sur les panneaux du fond : On trouve, à gauche, Touchagues en rouge avec son père en bleu foncé en second plan, et à droite Marie Louise Lacroix en bleu, avec la mère de l’artiste derrière elle en rouge.

Faut-il y voir dans ce dispositif scénique une indication de l’importance des personnages, comme sur les retables médiévaux ? Ou bien un trucage optique de décorateur de théâtre ; mais alors on ne voit pas bien où serait le point de vue. On pense plutôt à une composition symbolique élaborée mettant en scène la procession des villageois sortant des bâtiments ocre et se dirigeant vers le village de Saint-Cyr au dessus duquel trône la Vierge qui exaucera leurs souhaits. Rien n’est certain, Touchagues n’ayant laissé aucune indication, mais cette ambigüité est le propre des grands artistes qui laissent chaque spectateur construire sa propre histoire.

Cette œuvre a sans doute tenu une grande place dans le cœur de l’artiste. Il a consacré beaucoup de temps à la préparer puis à la peindre, lui qui était plus habitué aux réalisations rapides, comme le crayon ou la gouache. Bizarrement il n’en parle pas du tout dans son livre de souvenirs.

On trouve sa signature sur la fresque du coté droit du porche, près du sol.

L’abside

La Vierge (sans enfant) est posée sur un coussin végétal suspendu au dessus du village de Saint Cyr. Elle est en train d’être couronnée par deux anges qui flottent dans un ciel bleu soutenu. La représentation du village de Saint-Cyr reprend le style de celles des panneaux de fond du porche, mais le village est entouré d’eau comme dans le dessin de Touchagues de 1926 figurant le Paradis Terrestre.

Touchagues a sorti de la niche les deux anges en bois peint ainsi que la statue de la Vierge en bois doré. Les deux anges ont été habillés d’un badigeon bleu mat proche de celui du ciel de la fresque et réinstallés de part et d’autre de la niche. La statue de la Vierge, qui représentait ND de Tout Pouvoir a été posée sur l’autel.

On remarquera quelques détails qui relient cette fresque à celle du porche. La colline de gauche est surmontée d’une croix, tout comme les collines du porche sont surmontées de la croix de l’Ermitage, de celle de la basilique de Fourvière … et peut être de celle du Mont Thou. L’eau est présente  des deux cotés : la Saône en arrière plan de la procession des paysannes du porche et celle qui entoure le village de l’abside, mais sa symbolique reste obscure.

Cette fresque est signée en bas à gauche : “Touchagues 1952”

Notoriété et oubli …

Bien qu’il n’ait pas souhaité travailler en public, Touchagues était un “bon sujet” pour les journalistes et les photographes. Plusieurs ont donc couvert l’avancement des travaux. En mai 1952, Paris Match a envoyé une équipe de journalistes sur place alors que la fresque du porche était encore en chantier. Un long article illustré est paru dans le numéro 187 publié en novembre 1952. Les photos remettent en scène certains des personnages devant leur représentation sur la fresque et le texte laisse un peu trop croire que Touchagues abandonnait définitivement la vie parisienne, mais cela permit au site d’acquérir une certaine notoriété.

Touchant une autre catégorie de population, l’inauguration des fresques en grande pompe par les dignitaires religieux allait encore accentuer cet effet.

Mais cette renommée allait peu à peu s’effilocher et dix ans plus tard, bien peu de gens s’intéressaient encore au travail de Touchagues à l’Ermitage du Mont Cindre. L’esplanade devant la chapelle était devenue un parking et les fresques du porche, exposées aux intempéries se détérioraient peu à peu.