L’œuvre : les livres illustrés
Louis Touchagues a été un grand illustrateur de livres. Le marché du livre d’art illustré s’était beaucoup développé en France à la fin du XIXe siècle. Utilisant des techniques d’impression artisanales, il faisait appel à des artistes connus qui y trouvaient un moyen, moins fermé que les galeries d’art, de se faire reconnaitre. Après une période faste, ce marché s’est effondré avec les crises des années 20, condamnant certains artistes à travailler pour d’autres media comme la presse illustrée. Il a fallu attendre la Libération pour assister à un renouveau des livres d’art illustrés de gravures et de lithographies originales. Ce regain n’a pas duré : dès le début des années 50, le progrès des techniques d’impression en grande série aidant, les éditions d’art contenant des gravures originales sur papier de luxe se sont trouvées réduites à la portion congrue. Cet environnement a bien sûr influencé l’évolution de l’œuvre d’illustration de Touchagues.
Début 2024, nous connaissons 75 livres (brochés, reliés ou en feuilles emboitées) pour lesquels Louis Touchagues a été sollicité pour des illustrations. Le plus ancien date de 1918, les plus récents des années 1970. Certains livres ne comprennent qu’une seule illustration en couverture ou en frontispice, d’autres plus de cinquante. Pratiquement toutes les techniques d’impression ont été utilisées, la lithographie ou la gravure pour les éditions d’art, différents procédés de photogravure pour les autres. Touchagues ne produira pratiquement plus de lithographies ou de gravures originales pour l’édition d’art au delà des années 50, préférant sans doute utiliser ces techniques pour l’édition à l’unité, activité lucrative qu’il poursuivra jusqu’à son décès. Il continuera néanmoins de livrer quelques jeux d’images pour les éditeurs grand public qui le soutiennent comme Cino Del Duca. La figure ci dessous montre bien l’évolution de production des travaux d’illustration de livres de Touchagues, avec le pic des années 40-50
L’association tient à jour un tableau récapitulatif des livres illustrés par Touchagues. Comme il est compliqué de le transcrire sur une page Web, on peut en télécharger un PDF mis à jour en fonctions des découvertes, ici :
A partir de cet inventaire, on peut estimer que Touchagues a produit environ 1200 dessins pour l’illustration de ces 75 livres édités en France entre 1918 et 1970. Comme il était hors de question de les décrire tous, nous avons choisi de découper son œuvre en deux grandes périodes : l’entre deux guerres et l’après deuxième guerre mondiale où Touchagues a travaillé avec des styles assez différents. Sur chaque période nous présentons une poignée de livres avec quelques illustrations représentatives, faisant ainsi prendre conscience de la variété de l’œuvre et de son évolution. La présentation est faite par ordre chronologique.
L’entre deux guerres
Le plus ancien livre illustré par Touchagues est « La légende de Roland » publiée à Lyon en 1918 par Gellerat, Hypolite et Cie. C’est un ouvrage malheureusement rare. Il semble pas avoir contribué à lancer sa carrière parisienne et nous de disposons pas d’images de bonne qualité de ses illustrations. Tous les travaux d’illustration de livres qui suivront ont été réalisés après son installation à Paris.
Jeanne d’Arc (1926)
Les illustrations du Jeanne d’Arc de Delteil ont réellement lancé Touchagues dans le monde de l’édition d’art parisienne. La première édition, publiée par Grasset en 1925, avait obtenu le prix Fémina. Pour la deuxième édition de 1926, Touchagues, qui, à cette époque, flirtait encore avec le style Dada et le surréalisme, proposa un jeu de dessins très construits, certains de veine surréaliste, d’autres plus réalistes, ce qui ne laissa pas la critique indifférente. Touchagues venait d’être admis au Salon de l’Araignée et commençait à être sollicité de tous cotés. C’est sa première édition d’art parisienne : les 18 lithographies pleine page aux couleurs éclatantes tirées par Mourlot, tout comme les illustrations dans le texte furent très bien reçues par la presse littéraire et contribuèrent à établir sa renommée d’artiste original et anticonformiste. Il faut toutefois noter que ces dessins furent rejetés violemment par le groupe des Surréalistes, et notamment André Breton qui qualifia l’œuvre de « vaste saloperie ». Sa rupture avec les Surréalistes suivra peu après.
Cinq images de ces lithographies :
Donat vainqueur ou Les Panathénées du IIe arrondissement (1928)
André Salmon était un écrivain et critique d’art contemporain de Touchagues. Ami d’Apollinaire et de Picasso, il publia en 1928 ce roman dont le cadre est le monde de la presse parisienne. Touchagues y a dessiné 50 illustrations noir et blanc à la plume, dont une douzaine en pleine page. Il ne s’agit pas d’une édition d’art : les dessins sont rapides, seules les illustrations pleine page sont fouillées. On est dans un style réaliste au trait, proche de la bande dessinée ou du dessin de presse. Le sujet, Paris ses rues, ses cafés, ses monuments, … , est cher à Touchagues et le restera tout au long de son parcours artistique. Ci après cinq images des illustrations pleine page.
Le carrosse du Saint Sacrement (1928)
Le Carrosse du Saint-Sacrement est une comédie en un acte de Prosper Mérimée, publiée pour la première fois en juin 1829. Elle sera reprise de nombreuses fois, en particulier dans le célébrissime opéra bouffe La Périchole, de Jacques Offenbach, en 1868. En 1928, l’éditeur René Kieffer la republie en édition d’art non reliée, le texte étant encadré dans une sorte de scène de théâtre. L’ensemble, illustré par 10 eaux-fortes en couleurs de Touchagues est présenté dans une élégante boîte bleue. Ces eaux fortes fines et précises transportent le lecteur dans le monde hispanique colonial de la Périchole vu par Touchagues. C’est coloré et baroque à souhait mais reste ancré dans la réalité. Touchagues a bien quitté le surréalisme. Touchagues n’emploiera plus guère ce style de dessins dans la suite de son parcours. Ci après quelques images de ces eaux fortes.
Le pèlerinage de Childe-Harold (1930)
Le Pèlerinage de Childe Harold est un long poème narratif en quatre chants écrit par Lord Byron et publié entre 1812 et 1818. Le poème décrit les voyages et les réflexions d’un jeune homme fatigué du monde qui, désillusionné par une vie de plaisirs et de débauches, cherche la distraction en voyageant. Il passe en particulier par la Grèce sous occupation ottomane et se retrouve au cœur de la bataille de Waterloo. En 1930, Trémois en republie une traduction française dans une belle édition d’art non reliée accompagnée d’eaux fortes de Touchagues coloriées à la main. Ce sont des dessins délicats, presque oniriques qui traduisent bien l’état d’esprit de Byron, spectateur désabusé du monde. Elles ont été très remarquées à leur parution en 1930 : la presse littéraire (L’Art Vivant et Le Crapouillot) en a publié des reproductions assez sommaires, qui donnaient envie de voir les originaux. Leur style, trait mince et estompage en couleurs éteintes, préfigure celui que Touchagues utilisera pour ses illustrations publiées dans la presse périodique des années 30. Quelques images ci après :
Les Montparnos (1933)
A partir de 1910, beaucoup de peintres parisiens quittent Montmartre et la rive droite pour la rive gauche à Montparnasse. Le quartier est encore champêtre et la vie y est peu chère et facile pour des artistes désargentés. En 1929, Michel Georges-Michel, peintre, journaliste et romancier y publie la première version de son roman « Les Montparnos, roman illustré par les Montparnos » qui met en scène ce groupe de peintres qui vont révolutionner la peinture contre l’impressionnisme et les Fauves. Touchagues y apparaît en tant que membre du groupe et y dessine une gravure à l’estompe du Café du Dôme. Plus tard, en 1933, il illustre seul une nouvelle édition chez Arthème-Fayard pour laquelle il produit 34 bois gravés originaux. Ces gravures sont plus abouties et variées que celles qu’il avait dessinées pour le roman « Un Parfum d’Aventure » publié en 1925 dans la revue « Demain ». Bien qu’il ait réussi les illustrations en bois gravé de ce livre, cette technique ne sera jamais sa préférée. Elle demandait probablement trop de temps pour arriver au résultat souhaité alors qu’un dessin au crayon ou à l’encre ne demandait que quelques minutes. Touchagues était un homme pressé ! Voici un échantillon de ce que l’on peut trouver dans « Les Montparnos » ; d’abord une galerie de portraits puis deux images de cafés.
Contes d’Alphonse Daudet (1936)
Ce livre est un recueil posthume de contes et nouvelles publiés par Daudet dans la presse française entre 1871 et 1887. En 1936, la maison Mame, éditeur spécialisé dans la littérature religieuse et enfantine, demande à Touchagues d’illustrer six contes et nouvelles rassemblés dans une belle édition comprenant 16 lithographies couleur pleine page et de nombreux dessins en noir et blanc dans le texte. Il ne s’agit pas de contes pour enfants ; beaucoup baignent dans l’ambiance nationaliste revancharde qui suit la défaite contre l’empire prussien. Touchagues se met au travail et produit 16 lithographies très soignées aux à-plats de couleurs vives dans un style proche de celui des images d’Epinal et de certaines bandes dessinées actuelles. Toutes sont signées d’un « t. ». Il ne semble pas que Touchagues ait livré d’autres travaux de ce style plus tard. Quelques images ci dessous :
Pour ce livre, Touchagues a également dessiné des images en noir et blanc qui ont été intégrées au texte. La réalisation est là aussi de grande qualité. On est loin du dessin rapide des caricatures politiques et qu’il produisait en série à la même époque. En voici trois :
L’après deuxième guerre mondiale
Entre 1937 et 1944, Touchagues ne dessinera que le frontispice et la couverture d’un seul livre « Monsieur Durey » de Marion Delbo aux éditions Denoël. Son activité d’illustrateur ne redémarrera qu’avec la publication de son premier album de dessins en 1944.
Femmes et modèles (1944)
A la Libération, Touchagues publie son premier album de photos de nus, « Femmes et modèles » avec une introduction de Marcel Aymé. Il n’avait jusque là pas publié d’album de dessins sous sa signature. Il avait bien sûr dessiné et peint des nus mais ce n’était qu’un sujet parmi d’autres. Avec cet album, il devient « le peintre de la femme », réputation qui le poursuivra jusqu’à sa disparition. Une petite série d’albums de nus suivra cette publication tandis que les illustrations des autres livres deviendront plus légères. Ci dessous quelques images de cet album « Femmes et modèles ». La technique utilisée est l’eau forte. Encre bleu foncé sur papier épais blanc. Tous les dessins sont signés « Touchagues ». Seul le frontispice est rehaussé de quelques couleurs.
Daphnis et Chloé (1945)
Daphnis et Chloé est une pastorale en prose attribuée à Longus, hypothétique auteur grec du IIe ou IIIe siècle. Le roman fait découvrir la naissance et les progrès de l’amour chez deux bergers adolescents, Daphnis et Chloé. Touchagues se saisit du sujet en posant ses personnages dans une Grèce mythologique idéale, peuplée de bergers nus et de quelques guerriers. D’un trait souple, il esquisse des visages plus grecs que nature. S’il a déjà dessiné beaucoup de jolies jeunes femmes dont il sait tracer d’un trait sûr les seins naissants, on le voit ici un peu moins à l’aise avec les jeunes hommes dont l’expression est plus raide. Certaines des 85 eaux fortes des deux recueils ont été colorées, d’autres sont à peine ébauchées, aériennes. On retrouve l’encre bleu foncé et le papier épais de son album « Femmes et modèles » mais le trait est souvent moins appuyé et les touches de couleur adoucissent les images. En voici un petit échantillon.
Florie (1946)
La grande Colette publia ce petit livre divisé en deux parties (Florie et Rivalité) en 1946 aux Editions La Joie de Vivre. L’action de Florie se situe dans les coulisses d’un music hall dont Florie est la vedette. Celle de Rivalité met en scène deux jeunes femmes gravitant autour de Bussy, auteur de théâtre à succès. Touchagues a dessiné 10 eaux-fortes (5 + 5) au trait noir (avec de légers accents gris) pour ce livre d’art tiré à 1000 exemplaires. L’ambiance générale des gravures est plutôt crépusculaire avec d’épais rideaux noirs encadrant les scènes et une foule de détails fins qui remplissent toute la zone imprimée. Il faut prendre une loupe pour lire certaines zones. Quelques exemples ci après :
Je me suis joué la comédie (1946)
Anarchiste pacifiste, engagé volontaire en 1914, Marcel Sauvage a appartenu à la génération des tranchées de la Première Guerre mondiale. Poète très influencé par Max Jacob et André Salmon, il a collaboré à de nombreux journaux et revues, travaillé comme grand reporter à L’Intransigeant, et a été apprécié comme critique d’art et critique littéraire : il sera membre du jury du prix Renaudot de 1927 à 1981. Il publie en 1946 ce roman fantastique et onirique « Je me suis joué la comédie » qui sera publié en édition d’art à 250 exemplaires seulement avec 6 eaux-fortes de grand format de Touchagues. Touchagues réussit là l’exploit de transcrire les cauchemars du héros de ce roman obscur en quelques eaux-fortes assez réussies qui reprennent les détails du texte. Ces images au trait noir, sans accents de gris, sont moins confuses que celles du Florie de Colette édité la même année. Malheureusement, un tirage confidentiel et un auteur à la signature peu connue les feront rester sous les radars des biographes de Touchagues. En voici trois :
La bonne peinture (1947)
Ce petit roman fantastique et burlesque de Marcel Aymé conte l’histoire d’un artiste peintre, Lafleur, dont les œuvres, que peu apprécient, ont la faculté de rassasier ceux qui les contemplent. Comme s’ils venaient d’avaler un bon pâté en croûte ou une crème au chocolat ! Un tel don ne peut laisser indifférents journalistes, marchands d’art et politiques. Le peintre finira par se faire nationaliser et la population recevra des tickets de rationnement pour aller voir ses œuvres !
Cette édition originale, publiée en janvier 1947, a été illustrée par un Touchagues inspiré qui a dessiné 10 belles eaux-fortes originales aux traits fins rehaussées de couleurs au pochoir. On est bien sorti de la guerre ; les gravures aux accents de couleurs vives, comme l’histoire joyeuse, incitent à l’optimisme. En voici quelques exemples :
Les aventures du roi Pausole (1947)
Les Aventures du roi Pausole est un roman de Pierre Louÿs édité en feuilleton en 1900. De nombreuses éditions illustrées du roman parurent ensuite. Celle qui nous intéresse a été publiée en novembre 1947 en petit format. Malgré le tirage à 3000 exemplaires, elle comprend quinze lithographies originales de Touchagues tirées sur les presses de l’atelier Mourlot.
L’action se déroule dans le royaume imaginaire de Tryphème « sur une péninsule qui prolonge les Pyrénées vers les eaux des Baléares ». Le roi Pausole, qui dispose d’un harem de 366 jeunes reines sous la garde du Grand Eunuque Taxis, part en tournée dans le royaume à la recherche de sa fille Aline ; les péripéties s’enchainent. La nudité est la règle en ce royaume, seules les personnes laides sont priées de s’habiller et, bien sûr, les relations amoureuses sont fortement recommandées, sans exclusivité.
Touchagues tire profit de ce scénario léger pour peupler ses lithographies de nus féminins, certains assez filiformes, d’autres plus en chair, dans un environnement pastoral. Le trait est plus épais mais moins dense que dans ses précédentes illustrations et les couleurs chaudes omniprésentes. On est clairement dans le sud … Il faut noter que le Grand Eunuque Taxis réapparaîtra plusieurs fois dans ses œuvres ultérieures en tant que pasteur sur les plages de Saint Tropez
Ci après un petit extrait de ces illustrations.
Framboise Pépin et ses environs (1948)
Il s’agit d’un roman de mœurs écrit par François de Bondy, romancier et critique littéraire né en 1875. L’histoire se déroule à la Belle Epoque dans un monde de casinos et de restaurants où l’argent file plus vite qu’il ne rentre. Son personnage central, Adalbert (son avatar ?), y vit une sorte de vaudeville déstructuré avec Françoise Pépin. Louis Touchagues se saisit de cette histoire qu’il illustre de 12 aquatintes pleine page en couleurs saturées et de 24 dessins en noir et blanc dans le texte. Contrairement à ce que le scénario léger pouvait autoriser, il n’y a qu’un seul dessin de nu dans cet ouvrage. On y trouve par contre de nombreuses illustrations de personnages habillés à la mode du tout début du XXe siècle, mis en situation tant en intérieur qu’à l’extérieur. C’est une des premières fois que Touchagues utilise l’aquatinte. Il y reviendra par la suite. Voici quelques illustrations de ce roman.
Odes en son honneur (1948)
Quand Verlaine écrit ses recueils de poèmes érotiques Chansons pour Elle en 1891 puis Odes en son honneur en mai 1893, il est en pleine déchéance alcoolique. Sa fin de vie est quasiment celle d’un clochard, hantant cafés et hôpitaux, mais son influence reste grande dans le monde artistique européen de la fin du XIXe siècle. Ces poèmes, inspirés par sa compagne Philomène, montrent qu’il maîtrise toujours bien l’art du vers court. En 1894, peu avant sa mort, il est même désigné « prince des poètes ». Touchagues, inspiré par la musicalité de ces poèmes plutôt crus, produira des illustrations d’un érotisme délicat pour l’édition de luxe de ces deux ouvrages : en 1944 pour Chansons pour Elle puis en 1948 pour Odes en son honneur.
Odes en son honneur contient 5 lithographies pleine page imprimées par Mourlot et 18 gravures dans le texte. Les lithographies pleine page sont colorées et complexes. Certaines semblent avoir un rapport assez ténu avec les poèmes. On en trouve encore aujourd’hui des tirages supplémentaires sur le marché de l’art sans mention d’origine. Les gravures de nus dans le texte sont légères et délicates ; ces dessins montrent bien le savoir faire de Touchagues qui pose en quelques traits une attitude, un regard, … sans aller au delà d’un érotisme contenu. Voici un petit échantillon de ces images.
La parisienne de Touchagues (1949)
Ce recueil de dessins est le fruit d’une collaboration entre Touchagues et son ami Robert Rey alors directeur à la direction générale des Arts et Lettres du Ministère de l’Éducation nationale. Robert Rey y a écrit une vingtaine de pages résumant le parcours artistique de Touchagues et le posant dans le microcosme du monde parisien des arts. On en trouve une traduction anglaise en fin d’album. Touchagues a rassemblé là 34 dessins de techniques assez hétérogènes, allant de l’épure construite avec quelques traits, avec quelquefois une touche de couleur, au dessin dense à la gouache emplissant tout le cadre. On y trouve aussi bien des modèles du monde du spectacle, que des dames à chapeau posant dans un environnement bourgeois. En dehors des nus au trait qui illustrent le texte de Robert Rey, il est bien difficile de trouver un fil directeur. Il faut toutefois signaler que tous les modèles sont identifiés dans une table en fin d’album.
Probablement pour contenir les coûts d’un tirage à 2000 exemplaires, l’impression est en photogravure ; ceci permet de publier quelques images en couleur mais on perd la finesse des images à l’eau forte ou les nuances de la lithographie. Voici quelques exemples de dessins de l’album, les nus au trait d’abord, d’autres images ensuite.
Paris de ma fenêtre (1951)
Colette, revenue de l’Exode, se réinstalle en octobre 1940 dans son appartement du Palais Royal. Chaque jour, depuis sa fenêtre (elle est gravement handicapée par l’arthrite), elle observe l’Occupation au quotidien à Paris. Ecrivaine adulée, elle écrit pour le Petit Parisien des chroniques sur les restrictions, le marché noir, le système « trucs et trocs », l’entraide qui réunit les habitants du Palais-Royal, les distractions, les rares expositions, le petit peuple de Paris, les animaux et les privations auxquelles eux aussi sont soumis… Ces chroniques s’arrêtent en décembre 1941, avec l’arrestation de son 3ème mari. Organisées en 11 parties, elles constituent le « Paris de ma fenêtre » qui sera édité à Genève en 1944 avec une préface de Francis Carco. De multiples rééditions suivront. Celle qui nous intéresse sera publiée en 1951 en édition de luxe illustrée par Touchagues avec 12 gravures sur cuivre en couleur et 24 en noir.
Les gravures en couleur sont fines, précises et très peu colorées, celles en noir sont moins complexes. La plupart reprennent le vocabulaire graphique de Touchagues de l’époque, en courbes et arabesques. On y trouve surtout des fragments de paysage, des natures mortes, quelques scènes d’intérieur avec La Fenêtre et quelques scènes de jardins publics parisiens. Voici une petite sélection de gravures noires :
Jours et nuits à Paris (1953)
Jean Pierre Dorian brosse là une fresque du « Tout Paris » de la fin des années 40. Il le fait au travers de petites anecdotes au charme désuet où il saisit les situations dans lesquelles les acteurs de ce microcosme passent de fête en spectacle à travers l’Europe, s’interpellent et se jaugent. Touchagues y est parfaitement à l’aise et produit 15 dessins à l’aquarelle et à la plume qui seront imprimés en photogravure. Le style des dessins est proche de celui des dessins qu’il avait publiés dans « Amour chef-lieu Paris » deux ans auparavant. Touchagues a utilisé ici une charte graphique à deux couleurs assez inhabituelle : détails en jaune-vert ou brun sur décors bleu foncé. Certains dessins se rapportent au texte, d’autres non. Touchagues semble avoir repris ici certains dessins anciens qu’il a passé en couleur. Le texte, plutôt élégant, a un intérêt historique indéniable, tant le nombre de personnages mis en scène est grand. Voici quelques unes des images :
Vagues à Saint Tropez (1962)
Troisième et dernier album de dessins de Touchagues publié en 1962. Il est composé d’une soixantaine de dessins de jeunes femmes mises en scène sur la Côte d’Azur : Saint Tropez, Grimaud, la plage de Pampelone, … La plupart des dessins ont été exécutés à l’aquarelle puis imprimés en photogravure : quelques images sont imprimées en couleurs mais la plupart sont en gris. Si on en croit les signatures, ces scènes ont été captées dans un intervalle de temps assez court entre 1959 et 1961. L’album a été tiré à 1150 exemplaires : ce n’est pas une édition d’art pour bibliophiles avec des nus provocants. Touchagues s’est le plus souvent attaché à mieux détailler les visages, assez réussis, que les corps nus, quelquefois à peine ébauchés. Quelques pages de commentaires de Touchagues sont intercalées entre les dessins. Par exemple : « Saint-Tropez, c’est les cinq parties du Monde dans quelques kilomètres carrés » ou « On voit de fins visages, avec de belles petites bouches engloutir des tonnes de crêpes aromatisées« .
Voici quelques uns de ces dessins :
La jument verte (1970)
Cette chronique paysanne gaillarde de Marcel Aymé sent bon le terroir. On y voit s’affronter les deux familles Haudouin et Maloret, rivales pour l’éternité depuis le « viol » de la mère Haudouin par un soldat prussien pendant la guerre de 1870. Marcel Aymé dépeint le village au travers des mœurs sexuelles de ses habitants. La jument verte, morte prématurément, observe la scène depuis le tableau où elle est maintenant confinée. Personnage à part entière du roman, elle ne se prive pas de faire des réflexions sur les mœurs douteuses de ce petit monde. Pour cette édition à grande diffusion, Touchagues, qui approche les 80 ans, a produit 8 images « pleines » à l’aquarelle en pleine page. Elles collent bien au récit, sont réalistes et plutôt sages. On y voit bien quelques pointes de sein … Il n’avait jusque là que rarement utilisé ce style dans ses illustrations de livres. L’éditeur a malheureusement rogné certaines images pour l’impression en photogravure. C’est le dernier travail d’illustration de livre par Touchagues que nous connaissons